La question du
jour du WHO ARE YOU CAPTAIN RAWR étant « partager quelque chose avec
lequel tu es en train de lutter » va me permettre de mettre les pieds dans
le plat, d’un problème omniprésent dans ma vie et qui mérite pour la peine
un article entier.
De mon incapacité à m’acheter un
yaourt.
Je sais pas si j’ai envie de
pleurer ou pas. Mais j’en ai gros sur la patate.
Je répète « de mon
incapacité à m’acheter un yaourt ».
La TE-HON.
The walk of shame on sortant du
magasin, le nez dans mon écharpe, les yeux criblés sur les dalles sales.
Et ça cogite depuis jeudi dernier.
Y’a un combat de dinosaures dans mon crâne BAM BAM BAM.
Bagdad et Chernobyl réunit au sein
même de mon cerveau.
Boum.
Et chui là, au milieu des débris.
C’est décousu. Pardon. Mais quand
on se rend compte qu’on se berce d’utopie, comme quoi ça va, alors que non, ça
fait mal.
Je ne sais pas comment tourner
les choses pour vous recontextualiser ma situation.
Une liste, c’est simple et
efficace.
1) 16
juillet 2014 je suis admise dans une Unité de Troubles Alimentaires, pour des
tca que je traîne depuis des milliards d’années.
2) J’avais
surtout un gros problème depuis quelques mois, c’est que je vomissais tout ce
que je mangeais. Je ne faisais pas de crises de boulimie. Je vomissais
« volontairement » dès que je mangeais autre chose que ce que mon
dictateur de cerveau m’octroyais (à savoir un bol de céréales le matin, 1 ou
deux pommes mangées par moitié, et même sur la fin, j’avais du mal avec ça)
3) Je
faisais de l’hyperactivité.
4) A
l’hôpital, on m’a donné une structure alimentaire (petit déjeuner, goûter,
déjeuner, goûter, souper) Chaque structure est adaptée à chaque patient (à
savoir X tartines le matin, X au goûter de 16h et X au dîner. Le goûter de 10h
et le déjeuner étant le même pour tout le monde, à savoir un yaourt et un repas
chaud).
5) Mais
donc j’avais très peur d’avoir de la nourriture dans mon ventre.
6) On
a découvert ma potomanie (5-6l par jour)
7) Y’a
eu des hauts, des bas, progressivement ça allait mieux, même si ça coinçait
toujours.
8) Un
jour en discutant avec une infirmière, elle me fait me rendre compte que je
suis malade, mais surtout, que je ne l’ai pas choisi, avec cette phrase qui
restera gravée dans ma mémoire
« Est-ce qu’un diabétique choisi d’avoir trop de sucre de le sang ? »
« Ben non »
« Ben vous c’est pareil. Vous n’avez pas choisi de tomber là dedans. Vous êtes malade. »
« Est-ce qu’un diabétique choisi d’avoir trop de sucre de le sang ? »
« Ben non »
« Ben vous c’est pareil. Vous n’avez pas choisi de tomber là dedans. Vous êtes malade. »
Gros choc. Car
même si au fond de moi je savais que je ne le faisais pas exprès, une partie de
moi me mettait en faute dans tout ce cirque.
9) La
rentrée universitaire post session de janvier se fait début février. Je ne veux
pas mettre en péril mon année, on s’arrange donc pour que je sorte, avec une
optique de sauver les meubles à l’extérieur vu que j’ai toujours de gros gros
blocages.
10) Je sors
le 02 février après 6 mois et demi d’hospitalisation.
Le badtrip.
Même si je suis contente de
retourner à la fac, d’avoir un semblant de vie normale, de retrouver mes amis,
mon chat, la maison, la vie.
Mais mon cerveau est toujours
malade.
Rien n’y fait je stagne, je fais
même de gros retours en arrière.
Le seul point positif, est que je
ne vomis plus ou presque. J’ai bien dit ou presque. Et tu ne peux même pas
imaginer le sentiment d’impuissance mêlé de honte quand on vomit
« volontairement » un quart de cookie. Oui un quart de cookie.
Juste parce que c’est une
« nourriture non programmée ». Du coup je flippe, je cours aux
chiottes et puis j’ai envie de creuser un trou de la honte et m’y cacher
jusqu’à la fin de ma vie.
Certains diront que je suis sortie
trop vite. Ils ont raison.
On ne se débarrasse pas en
quelques mois d’un démon dictateur digne de Polpot qui est là depuis des années
et des années, voir depuis toujours. J’en suis bien consciente, et j’étais
plein d’espérances, je me disais qu’en sortant ça irait, que j’arriverai à
gérer.
Alors oui, je gère, je sauve les
meubles et encore.
Les blocages sont là. Chaque
matin.
J’endosse une chape de plomb et
je commence ma journée.
Et tu sais c’est quoi le
pire ? D’être consciente.
De savoir pertinemment qu’on est
malade, qu’on réagit à telle ou telle situation de telle façon parce qu’on est
malade, mais qu’on ne sait pas aller à l’encontre.
Que le dictateur qui s’est imposé
dans le cerveau contrôle tout.
On a souvent tendance à
glamouriser les tca. A prendre ça pour une maladie légère, résultant d’un choix
personnel de la personne, que c'est pour attirer l'attention, gnagnagna et compagnie.
FAUX.
Même si je dois admettre qu’à un
moment de ma vie, il y a quelques années maintenant, quand je me suis bien rendue compte que ça ne tournait
vraiment pas rond de ce côté là, mais que je ne voulais pas l’admettre, que je
pensais que J AVAIS MOI le contrôle sur tout, alors je revendiquais mon rapport
à la nourriture comme liberté d’individu. Mais non c’est les méninges qui font
ça. C’est la maladie qui te contrôle cette tepu. Pas l’inverse.
Puis alors excuse moi, mais ça
n’a rien de glamour de béger tout ce qui passe. Tu finis par puer le vomis,
t’as des taches sur tes fringues parfois, ou des éclaboussures sur tes cheveux.
Ou si tu manges rien de rien c'est une haleine fétide que t'essayes de masquer à coup de chewing gum sugar free
Ou si tu manges rien de rien c'est une haleine fétide que t'essayes de masquer à coup de chewing gum sugar free
Tes dents se dégradent, vite.
Deviennent jaunes. A taches. Les gencives qui remontent. Ta peau est
dégueulasse.
Puis t’as des bleus spontanés qui
t’arrivent, qui sont énormes et mettent des semaines à s’effacer complètement.
Ta concentration qui diminue,
arrive au point zéro, et te fais littéralement rater ton année.
Et alors, si t’as le malheur de
bouffer un truc, c’est la fête du gargouillis dans ton bide.
Et puis ça fait mal.
Au ventre justement. Que tu
manges ou pas. T’as mal. Pas la même douleur, mais jte jure que ça te bouffe.
Et le froid. Celui qui s’installe
au creux de tes os et qui s’obstine à ne pas partir. Le jeu de l’oignon que
t’es obligée de faire chaque jours pour ne pas te les peler. Et que même
l’accumulation faite de manière judicieuse ne te réchauffe pas. J A M A I S.
Fin juin, canicule, sur un
chantier gallo romain en plein soleil. Tout le monde en t-shirt crevant de
chaud. Captain Rawr en sous pull, pull et écharpe.
NARMOL quoi.
Et ça te coupe.
Les restos tu les refuses parce
que tu flippes. Même si c’est avec des amis qui savent, tu déclines
l’invitation en te traitant de gogole profonde.
Aller boire une bière. Avant
j’adorais ça. Un truc où je me tuais pas trop le cerveau, c’est quand j’allais
boire un verre avec les copains. Pourtant l’alcool est hautement calorique,
tout le monde le sait. Mais ça allait.
Maintenant, QUEDAL. Une
régression totale depuis que je suis sortie de l’hôpital. Une pinte me mets
dans tous mes états.
Et ça me rend triste évidemment.
Parce que ça reste de bons moments perdus.
Puis ouais ça t'oblige à passer par la case urgences des fois, et te retrouver sous baxter à poireauter 24h, pour rentrer chez toi et ne rien changer.
En te disant c'est pas grave, quand je vomis je compense la chute libre de mon potassium en mangeant dla banane. Que j'appelais, "mon concentré de potassium". Mais attention, pas trop hein, c'est calorique comme fruit faut pas en abuser, potassium ou pas.
Là maintenant où je t'écris ces lignes, je serais incapable d'en manger une, tellement ça ferait un effet madeleine de Proust terrifiant.
Et les proches qui ne comprennent pas, à aucun moment, que ce soit avant, pendant et après l'hospitalisation. Qui te font des remarques sur ce que tu manges ou pas, sur la façon dont tu le fais, sur ton poids « et alors t’as grossi ou t’as maigris ? » .
« Eh meuf, t’as vu tes mains ? Elles sont spectrales, c’est moche, faut que tu bouffes ».
Leur incompréhension parfois
poussée à son paroxysme, « c’est une tentative de suicide que tu
fais » MAIS NON PUTAIN JE VEUX VIVRE MOI.
VIVRE.
C’est tout ce à quoi j’aspire. V
I V R E.
Je veux pas mourir.
Je veux vivre et être bien. Voilà
mon but.
Mais ils ne l’entendent pas.
En rajoutent même « tu sais,
à cause de tout ça (entends par là toi), le soleil ne brillera plus jamais sur
nous de la même façon ».
On te fait culpabiliser d’être
malade.
Tu culpabiliserais quelqu’un
atteint d’un cancer ? Non, je me doute. Et ben culpabiliser quelqu’un
souffrant d’une maladie mentale est la même chose. Et ne me dis pas qu’on compare
pas les prunes et les pommes je le sais, mais ça n’empêche que pour la personne
malade, se faire agresser de la sorte fait mal de la même manière.
Et pourtant, je ne leur en veux
pas de toutes ces remarques. Car c’est une maladie très peu compréhensible pour
l’entourage. Et t’as beau essayer de leur expliquer ce que toi même tu ne
comprends pas parfois, c’est en général le même effet que de se taper la tête
contre un mur.
Alors voilà. Cette lutte
incessante.
Ce champ de bataille qui est mon
corps, sous l’égide du Caporal Anorexie.
Joyeux programme.
B A T A I L L E.
Et tous ces aspects malsains de
la chose. Paradoxaux.
Tu sais que tu ne peux pas
maigrir (d’ailleurs j’ai un peu peur d’aller voir mon psychiatre vendredi),
mais tu te réjouis quand tu vois le poids descendre.
T’es incapable de rester assise
longtemps, tellement les os de ton cul font mine de vouloir transpercer ta peau
mais en même temps , tes os te rassurent, quand tu les sens de plus en plus
poindre vers l’extérieur tu ressens une espèce de calme et de bien être.
Et ce froid qui te tue mais dans le fond, tu ne peux t'empêcher de te réjouir des calories perdues grâce à ça.
PARADOXAL JE TE DIS.
Et ce froid qui te tue mais dans le fond, tu ne peux t'empêcher de te réjouir des calories perdues grâce à ça.
PARADOXAL JE TE DIS.
Et ce sentiment d’être hors
monde. A midi, quand les copines mangent leur sandwich, leur cornet de pâtes où leur quinoa, toi t’es là avec ta pomme,
que tu manges juste pour sauver l’honneur.
Les gens se rassemblent autour de
la nourriture. Et toi t’es là au milieu, crispée, flippée, incapable de
profiter du moment.
Incapable de te faire à manger
alors que tu adores cuisiner. L’autre jour j’ai fais du pudding de pain. J’ai
même pas su en manger un. Tellement j’avais peur.
Et cette crainte de ne jamais
pouvoir faire partie du monde « normal », d’apprécier des aliments
qui pour le moment sont juste considérés à tes yeux en valeur de calories et
lipides.
Depuis le 02 février, je mange
chaque jour la même chose. Incapable de varier. Les seules fois où j’ai essayé
ça s’est terminé en désastre.
Et pour revenir au yaourt du
début, qui a été l’élément déclencheur de cet article, il s’avère que je
faisais mes courses, et pendant un millième de seconde, j’me suis dit
« pourquoi pas un yaourt à la vanille » et hop me voilà en train
d’arpenter le rayon frais, excluant les pack, car je sais que je ne saurais pas
le terminer, et me concentrant sur les articles à la pièce. Et là pendant une
demi heure, à faire des comparaisons, poids, calories, « mais ils sont
énormes ces yaourts (180 gr.)y’en a vraiment pas de petites tailles ?» Et
recommencer au début du rayon pour voir si y’en a pas un qui t’as échappé.
Pendant une demi heure.
Pour arriver à la conclusion
aporétique, que c’est trop.
Et sortir du magasin avec ta
bouteille de coca light et ton tabac. Et commencer ta marche de la honte.
Voilà. Le chemin de la guérison
est long et plein d’embûches. Je ne souhaiterai ça à personne, même pas mon
pire ennemi. Car tu finis par te détester. T’effacer de tout à commencer de toi même.
Et comment fait-on pour vivre
quand on se déteste ? Je ne sais pas, j’essaye juste au maximum de penser
en terme de « ici et maintenant » pour ne plus voir l’infâme chose
que je suis devenue. Un corps qui ne ressent plus rien.
Mais je ne perds pas espoir. Jamais.
Et malgré mon manque d’estime, le
soir je suis quand même contente d’avoir réussi à manger mon petit déjeuner et
mon souper. De maintenir une structure, certes excessivement réduite mais c’est
un début, mais faut bien commencer par quelque chose et ne pas perdre de vue
que Rome ne s’est pas faite en un jour.
Enjoy les Moussaillons, profiter
de la vie, coûte que coûte !
Merci et bravo pour ce témoignage, tu as beaucoup de courage de l'exprimer ainsi !
RépondreSupprimerOh merci pour ton commentaire, crois moi ça me touche!
SupprimerPorte toi bien,
Captain Rawr.
wha, qu'écrire après ça.
RépondreSupprimerCe qui est terrible, c'est qu'au début de ton article, je souriais.
Je me disais, "punaise, elle écrit bien ! Elle dramatise le truc, elle ironise, la chute va etre terrible, le message aussi."
Je pensais vraiment que ca allait etre de la dérision, mais, hélas, non.
On ne se rend pas compte, vraiment.
Ce témoignage n'a pas dû etre évident a écrire, mais en tout cas, j'espere que tu vas progresser, que tu réussiras a t'en sortir et a établir une relation plus sereine avec la nourriture.
je te souhaite tout plein de courage
Coucou!
SupprimerMerci pour ton message :)
Mais en soi j'aurai pu l'écrire dans l'autodérision, car c'est aussi une manière de dépasser la chose que de savoir en rire (ce qui heureusement je sais le faire, le "alerte aux gogoles" je le ressors souvent à mes amis quand je bloque aha)
Mais l'article est sorti comme ça, et je me suis dit que je n'allais pas le changer, car ça pourrait aider, peut-être un proche de quelqu'un de malade, pour qu'il se rende compte à quel point ça peut être Bagdad dans notre cerveau.
Merci pour tes encouragements, j'y crois tellement à y arriver, à avoir cette relation sereine avec la nourriture!
Bien à toi et encore merci :)
Je flirte avec l'hyperphagie depuis décembre-janvier (stress bonjour..), je suis dans la phase "Mais pourquoi tu fais ça c'est con - Mais c'est bon pis je fais ce que je veux, je peux m'arrêter mais j'ai pas envie, nah". Rien de très grave pour l'instant, et ça se calme doucement, mais je voulais te dire que je suis de tout coeur avec toi !
RépondreSupprimerQuant à ton entourage, réaction pas cool du tout... mais malheureusement les "sors les de ta vie", c'est pas exactement ce qui peut améliorer un quotidien quand on est malade.
Avoir conscience du problème et essayer de le résoudre petit à petit t'aidera je pense, une petite pierre par une petite pierre! Ca peut prendre des années, mais l'important c'est de le vouloir je pense... je t'envoie plein de courage, et de forces ! (et de potassium :b)
Coucou Auriane!
SupprimerCourage à toi aussi! Sache que je suis de tout coeur avec toi aussi, et si je peux me permettre le "je peux m'arrêter mais j'ai pas envie" je connais, malheureusement il s'avère souvent trop tard et les mécanismes sont en route et c'est très difficile de se stopper (jvoulais mettre impossible, mais rien ne l'est donc bon!).
Et comme tu dit, pierre par pierre on finit par créer une montagne, il suffit juste d'être patient et de mordre parfois sur sa chique et surtout ne pas se démoraliser en cas de rechute car si la guérison était linéaire et facile on l'saurait!
Prend bien soin de toi surtout! (et merci pour le clin d'oeil potassium, j'ai ris :D )
Ton témoignage est très touchant. Je te souhaite plein de courage et de forces.
RépondreSupprimerMerci tout plein pour ton commentaire! *prend toutes les forces que tu viens de me donner* zouuuu boooosteeer de forceeeee AUGMENTEEEE! Merci =)
SupprimerBon j'osais pas commenter mais en fait...je sais pas, je me sens obligée. Parce que j'arrive pas à acheter un yaourt, ça me fait madeleine de Proust des yaourts 0% allégés en tout à 44kcal pièce qui ont constitué mon seul repas quotidien pendant...longtemps. Du coup je comprends (le coup du "je vomis un quart de biscuit" aussi u_u'). Et je sais pas trop quoi dire, à part que je t'envoie tout mon courage et mon soutien (je t'enverrais bien du potassium aussi mais ça risque d'être compliqué ^^).
RépondreSupprimerMerci d'avoir commenté même si tu n'osais pas, c'est vrai que c'est un sujet un peu délicat, encore plus quand on est/a été dedans.
SupprimerJe t'envoie plein de courage aussi, c'est vraiment badtrip de faire des blocages débiles sur des aliments, mais bon, qui sait, un jour, s'en sera finit pour de bon!!